Publié par Dominique Schmidt dans la revue 3ème millénaire n°119, Mars 2016, « Les corps subtils »

Le Mystère de l’Être


Lovée, endormie, à la base de la colonne vertébrale, la Kundalini, l’énergie divine en l’homme, est cachée dans le corps subtil. Son éveil entraîne l’ouverture des différents centres (chakras) de conscience, jusqu’au plus élevé, situé au-dessus de la tête, où l’individu s’unit au divin (yoga).

Afin de mieux comprendre la dynamique de l’énergie créative de la divine Shakti, je propose d’esquisser certains aspects de la cosmologie complexe de Sri Aurobindo. Les différents principes universels qui constituent notre cosmos ont leur correspondance dans la conscience humaine et se situent dans le corps subtil, derrière le corps grossier. C’est de la matière universelle que l’homme détient son corps, du monde vital qu’il tire sa vie, du monde mental sa pensée ; et c’est à partir de là que ces trois modes de conscience, physique, vitale et mentale, ont évolué successivement pour qu’il devienne ce qu’il est aujourd’hui : un amalgame interactif de ces trois principes, individualisé en un “je”, l’ego, un nœud cosmique, c’est-à-dire un centre réactif où se nouent toutes les énergies universelles. L’ego est donc le reflet de principes universels dont il est une concentration unique qui se déploie en une multiple personnalité : un ego physique, un ego vital et un ego mental. En chacun de ces ego se niche un chakra particulier ou centre fermé par le “je” individualisé, qui s’ouvrira lorsque celui-ci sera prêt à s’universaliser. Notre personnalité de surface, exprimée sous la forme d’un “je”, n’est pas consciente de tous ces aspects constitutifs de sa nature qui influencent son mode d’être. Derrière notre conscience de surface, gît au tréfonds de notre être notre véritable moi ou âme réelle, qu’il nous faut distinguer de notre personnalité composite et de notre âme de désir. Sans l’étincelle divine qui est enfouie dans notre corps subtil nous serions condamnés à répéter le même chemin et n’être que de simples robots manipulés par les forces de la nature inférieure dans le cercle fermé de la peur et de l’insécurité de l’ego physique, du désir et des appétits de l’ego vital, des opinions et de la pensée de l’ego mental qui, au mieux, ne peut exprimer que des demi-vérités.

Jusqu’ici, nous avons évoqué les principes, physique, vital et mental, de la nature inférieure (dont, dans notre état actuel d’évolution, l’homme est le sommet), mais, involués dans l’essence de l’être, préexistent les principes des mondes supérieurs (le Mental supérieur, le Surmental, le Supramental) de nature spirituelle et divine qui n’ont pas encore émergé mais agissent sur lui sous forme de pression psychologique afin qu’il s’ouvre à leurs influences et évolue en leur sein.

Sri Aurobindo nous explique que ces mondes supérieurs résultent de la descente créative de la Conscience Suprême dont la lumière pure ainsi que les modes [1] de conscience diminuent à mesure de sa descente jusqu’à son obscurcissement total dans l’inconscience de la Matière d’où notre monde terrestre a pris naissance, avec l’homme, l’être mental, comme point culminant. C’est après cette descente involutive dans la création de différents mondes qui correspondent à des plans de conscience spécifiques que débute l’Evolution dont le rôle est de libérer tous les principes involués latents dans la matrice de la matière. Le but de l’évolution du chemin de retour est de remonter l’échelle de l’Être créée en sa descente pour recouvrer la lumière divine à travers une infinité d’expériences dont l’humanité et l’ego sont pour le moment la clé du Devenir.

La sagesse infinie s’est investie dans le corps subtil où se situent les chakras, fermés lors de l’Involution de l’Être pur dans l’inconscience de la matière où dort la Kundalini et qui devront être ouverts par son éveil, s’élevant de niveau en niveau, de chakra en chakra, sur l’échelle de l’Être, de la conscience physique à la conscience vitale puis mentale, pour atteindre au sommet la conscience Supramentale.

C’est donc à travers les chakras, les centres de conscience, que circule l’énergie divine. Selon l’évolution de l’individu, elle se localise en un centre ou niveau d’être spécifique et fait pression sur lui pour qu’il s’ouvre et se développe en une dimension d’être supérieure. Par exemple, lorsque l’individu animé essentiellement par la conscience vitale du désir, du plaisir et de l’affirmation de soi du monde vital, ressent l’influence du chakra supérieur du monde mental, sa conscience progressivement s’élève au mode d’être supérieur dont la pensée, la réflexion, la connaissance, la recherche du vrai, du bien et du beau sont les motivations principales. C’est ainsi que la volonté de désir animal du mode d’être vital se transforme en volonté de discernement, d’intelligence, propre à l’homme accompli. Au fur et à mesure que l’individu monte l’échelle de l’Être, sa conscience étroite s’élargit au contact des énergies universelles, pour se fondre finalement dans la conscience cosmique.

Contrairement aux écoles tantriques qui essayent d’éveiller la Kundalini délibérément pour la faire monter de centre en centre, Sri Aurobindo recommande à ses disciples de ne pas provoquer cet éveil mais de laisser la Force divine agir d’elle-même au moment opportun. En effet, cette Force descend spontanément lorsqu’une conscience est prête à la recevoir, c’est-à-dire lorsqu’elle a atteint suffisamment de maturité, d’intériorité et de maîtrise des mondes inférieurs, vital ou subconscient, là où l’ego est pétri de désirs. Une grande confusion règne de nos jours sur le sujet de la spiritualité : beaucoup s’imaginent être éveillés alors qu’ils sont à peine ‘réveillés’ de la torpeur ou de l’emprise des conditionnements. Ils confondent l’intériorité de surface – qui n’est que réaction à l’extériorité du monde des conditionnements physique, vital et mental, dont leur “je” est une formation superficielle – avec la vraie intériorité qui transcende cette couche phénoménale de la nature et est en rapport direct avec les énergies universelles.

Sans une connaissance préalable des différents mondes qui constituent notre univers, il est préférable d’attendre avant d’activer ces centres occultes [2] du corps subtil. Un signe du moment propice à l’éclosion de ces énergies latentes se manifeste en nous lorsque l’ego en a assez de lui-même et du monde qui est son reflet. C’est seulement alors, libérée de l’emprise du “je”, que la conscience est prête à explorer les vérités de son être réel en relation avec les énergies cosmiques. nous passons de la phase personnelle de l’ego à la vie universelle, où chaque être est perçu comme un autre soi-même. L’individualité séparative ouvre ses frontières et s’universalise. L’universel, à son tour, en sa descente dans l’individu, s’individualise et, selon Sri Aurobindo, c’est lors de cette phase de descente que les chakras s’ouvrent d’eux-mêmes, sans danger, en l’individu. Cette union de l’individu et de l’universel culmine hors du temps et de l’espace dans l’éternel intemporel. Lorsque ce stade d’évolution de la conscience est atteint dans l’individu-universel, alors s’ouvre le plus haut chakra, situé au-dessus de la tête, le lotus aux mille pétales (Sahasrarâ) de la divine félicité. nous sommes à l’apothéose de la réalisation de l’être infini où l’éternel intemporel et l’éternel temporel, enfin réconciliés, s’embrassent. Les trois formes de conscience, le transcendant, l’universel et l’individu, se rejoignent alors dans l’extase de l’ineffable mystère de l’Être.


[1] – Le Supramental, le Surmental, le Mental intuitif, le Mental illuminé, le Mental supérieur, le Mental ordinaire, le Mental vital, le Mental physique, le Mental cellulaire. Dans l’évolution présente de notre monde terrestre, seuls les quatre derniers niveaux de conscience du Mental sont évolués ; quelques individus seulement atteignent les différents plans de conscience supérieurs.

[2] – Par exemple, le centre du monde vital des bas chakras nous met en rapport, en autre, avec des entités vitales désincarnées ou avec des forces hostiles qui profitent de la faiblesse humaine.

Publié par Dominique Schmidt dans la revue 3ème millénaire n°119, Mars 2016, « Les corps subtils »

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