Publié par Dominique Schmidt dans la revue 3ème millénaire n°122, Hiver 2016, « La paix intérieure »

La paix Mythe ou Réalité


La paix en soi n’existe pas! Elle est une notion fabriquée par l’ego dont l’insatisfaction et le conflit sont l’essence. Au niveau de conscience de notre humanité présente centrée sur l’ego, la paix n’est qu’un re-lâche-ment temporaire du conflit permanent qui anime les individus et les peuples. La soif d’avoir et d’être quelqu’un est la source de la propriété, des frontières, de la séparativité dont résulte la guerre.

Si nous voulons la vraie paix, la paix ultime, par-delà la paix palliative tissée de compromis et d’hypocrisie, il nous faut mourir, individuellement et collectivement, à notre moi psychologique, notre moi de désir, créateur du mien et du tien.

Réformer la société extérieurement pour y établir l’unité et la paix, sans remédier à la source conflictuelle de l’individu divisé en lui-même, est une perte de temps. Car la société n’est que l’image de l’homme : elle reflète comme un miroir toutes ses tares et ses avidités, qu’aucune législation, aucune idéologie politique ou spirituelle ne sauraient guérir. Toute association fondée sur la dépendance, l’intérêt, le gain, le plaisir et le désir, et non pas sur la coopération, le désintéressement, l’amour et la joie d’être sans objet, est porteuse de conflits. Ainsi, la violence est inhérente à la structure de notre psyché individualisée par l’ego. Même dans les périodes de soi-disant paix, derrière nos joies et plaisirs de surface circule une tension continuelle, qui, à tout moment, peut exploser irrationnellement à la moindre provocation extérieure sous forme d’irritation, d’énervement, de violence verbale ou physique.

Nous sommes dans un cercle vicieux : le conflit inhérent à l’ego est soulagé par le plaisir de sensations éphémères que nous confondons avec le bien-être. Ce que nous prenons pour la paix n’est que la satisfaction fugitive de nos désirs égoïstes !

Inconscients de ce conflit qui génère la peur, nous nous réfugions dans l’obsession de la sécurité où le bien-être est réduit à l’avoir : avoir plus d’expériences, plus de sensations, plus de possessions. Le plus donne l’illusion de remplir nos manques qui nous laissent, même lorsqu’ils sont comblés, toujours dans l’amertume du besoin ! Ainsi l’insatisfaction collective recherche le bien-être là où il ne peut exister et fait l’expérience de la frustration au sein même du confort et de la réussite.

Les salons de bien-être en vogue de nos jours reflètent bien le mal collectif. Leurs adeptes s’imaginent trouver la plénitude dans l’évasion du développement personnel. Mais tant que nous vivons pour nous-mêmes, quels que soient le développement, le pouvoir et l’avoir, l’isolement psychologique, l’insatisfaction et le conflit perdureront.

De l’isolement existentiel dont notre moi résulte, toute quête extérieure au bonheur et à la paix est une utopie. La prise de conscience de cette vérité ne doit pas être traduite en concept ; autrement, au lieu de disparaître l’ego serait toujours présent caché derrière la connaissance spirituelle.

La paix, l’harmonie, l’unité, l’amour, ne sont pas, comme nous l’avons vu, l’association par intérêt, le plaisir, le désir. Alors, de quoi résultent-ils ? Peut-on les obtenir comme on obtient un objet ou existent-ils en soi, c’est-à-dire sans cause ? L’ego séparateur et divisé peut-il arriver à la vraie unité indivisible où tout ce qui existe est solidaire ?

Qu’est-ce que la paix ? Advient-elle avec le nirvana ?

Pour comprendre ce qu’est la paix, il nous faut déjà comprendre ce qui est, l’état des choses telles qu’elles sont, la violence latente dans le moi qui se réfléchit dans la société. La vraie question que nous devons nous poser est la suivante : une société antagonique au sein de ses membres, divisée en classes, où chacun est en quête du statut, de la réussite, de l’argent, qui est aussi compétitive dans l’avoir que dans l’être et le paraître, où chacun recherche sa propre expansion, peut-elle connaître l’harmonie et la paix ? Derrière le costume de l’homme civilisé, le barbare ne se cache-t-il pas encore ?

Comprenons-nous vraiment ce que signifie le nirvana [1], la paix ultime ? Généralement, nous pensons qu’être dans le nirvana c’est vivre dans la plénitude de nos désirs exaucés. En fait, c’est tout à fait l’inverse : c’est quand il n’y a plus de désir que la plénitude d’être advient naturellement, car le moi n’est plus présent. C’est donc dans la négation de l’ego, du moi avec le cortège de ses désirs, que le nirvana, la paix et l’amour surgissent sans l’ombre de la violence et du conflit.

Il nous faut diminuer le besoin impératif d’assouvir nos désirs afin de prendre de plus en plus du recul sur nous-mêmes ; dans l’absence de désir, nous serions étonnés de faire l’expérience d’une paix intérieure indicible qui advient sans la rechercher. Ce détachement de nos propres désirs laisse sans envie de ceux qui vivent exclusivement dans le plaisir de l’attachement, jusqu’au jour où un silence joyeux remplacera la fébrilité de nos avidités.

Si nous voulons la vraie paix, la paix ultime, ne la cherchons pas dans la complaisance de notre intellect ; agissons dès aujourd’hui dans la transformation de notre ego. Luttons contre les habitudes de notre moi, contre la continuité de notre passé, qui apporte les guerres, pour faire face avec fraîcheur à nous-mêmes. Quand le temps psychologique disparaîtra, il n’y aura plus d’obstacle à la paix.

C’est seulement par un changement de conscience, une mutation de notre perception, que nous pourrons pénétrer dans l’intériorité des choses jusqu’à leur essence où tout se trouve relié et unifié. Cette perception intériorisée est la clé de l’extase, de la paix et de l’amour, où tout être et toute chose sont perçus comme un autre nous-même dans la réalité-une.


[1] nirvana en sanskrit signifie état sans désir.

Publié par Dominique Schmidt dans la revue 3ème millénaire n°122, Hiver 2016, « La paix intérieure »

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