Publié par Dominique Schmidt dans le Bulletin de l’USF de Mai 2021

La Méditation au Quotidien


Nous avons vu dans l’article paru dans le précédent bulletin que l’étincelle divine gît en chacun de nous en tant qu’essence d’âme et que le vrai but de l’existence est de prendre conscience de sa « présence » en nous-mêmes.

Cette prise de conscience, bien qu’essentielle, n’est pas suffisante ; il nous faut ensuite mettre en avant cette étincelle afin qu’elle remplace notre existence égotique, puis l’établir dans la vie de tous les jours. C’est ainsi que j’entrevois l’exercice de la méditation comme une « pratique » de l’éveil au quotidien afin que cette étincelle devienne une flamme.

Cette pratique demande une constante vigilance afin de ne pas rechuter dans les forces de l’habitude et de l’inertie. La méditation utilise le quotidien comme moyen d’action afin de faire rayonner ce noyau divin dans le monde contingent. C’est sur l’action du présent et non pas sur la projection d’idéaux qu’il nous faut nous centrer. La méditation poursuit avec acharnement son œuvre qui consiste à épanouir le potentiel latent dans l’essence d’âme en une individualité divine. C’est une transformation radicale de notre être, depuis une nature égotique centrée sur elle-même et ses petits besoins jusqu’à une nature spirituelle ouverte à la vie universelle. La méditation, c’est l’action directe du divin en notre personne devenue réceptive.

Vue dans cette perspective, la méditation est loin d’être passive, comme l’exprime l’image courante du Bouddha assis en tailleur les yeux fermés dans un état contemplatif hors du tracas du monde. Elle est plutôt une voie dynamique de transformation de « l’homme en devenir » commençant sa journée sur terre en un moi primaire identifié à son corps et ses désirs et culminant en une individualité accomplie de nature divine, co-créatrice avec la création dans l’accomplissement de son œuvre, avec toutes les péripéties et les expériences nécessaires qu’engendrent les nombreuses existences entre ces deux extrêmes.

La méditation commence quand nous devenons conscients de ce que nous sommes vraiment dans notre double nature mondaine et spirituelle, ce qui nous permet d’agir en pleine conscience du travail qui nous incombe: la transformation de notre nature égotique existentielle en une nouvelle nature divine. La méditation est plus un état d’être méditatif constant qu’une pratique intermittente, comme un croyant qui va à l’église le dimanche mais dont la vie reste inchangée la semaine. Ainsi, toutes les incidences de la vie, agréables ou adverses, deviennent une source d’enseignement. Apprendre à voir le divin en toutes choses, même celles qui nous déconcertent, est un grand pas. Avec cette approche de la vie méditative, un objet banal s’emplit ainsi de la lumière du divin, qui en réalité habite toutes choses : la tasse avec laquelle nous buvons notre café est composée d’atomes qui sont la substance même du divin. Notre moi existentiel obscurci par les conditionnements n’a pas cette vision, il est terre à terre, il ne voit dans les choses que ce qu’elles lui apportent. Ne nous alarmons pas de cette étroitesse d’être inhérente à notre ego, voyons-la simplement sans jugement, sans condamnation. Faisons de même avec notre prochain: soyons indulgents et non critiques, sachons qu’autrui est un autre nous-même plus ou moins évolué, sous une autre forme. Il souffre comme nous, inconsciemment sans le savoir, d’être aliéné de son origine divine, et porte comme nous toutes les tares engendrées par cette ignorance.

S’ouvrir à l’intelligence universelle

Beaucoup méditent sans remettre en question celui qui médite, le méditant. S’asseoir pendant une heure tous les matins et méditer peut certes avoir des effets positifs sur notre santé psychosomatique, mais cela est loin d’être suffisant, car le moi contingent, conditionné par les différents facteurs, social, familial, religieux, culturel, géographique, etc. est toujours actif. Il ne s’agit pas d’améliorer ce moi que nous sommes en différentes versions idéalisées, mais de comprendre profondément qu’aucun bonheur durable n’est possible tant que ce moi est le capitaine de nos existences. La méditation commence par la conversion du psychologique au spirituel, de l’ego à l’âme. Le psychologique est l’expression de notre « corps-mental » séparé du monde et le spirituel de l’âme unie à la grande vie universelle. L’ego vit pour lui-même, le spirituel pour le Tout dont l’individualité est une parcelle indissociable. L’ego prend, le spirituel donne sans pensée de don ou de retour.

La méditation quotidienne met de l’ordre dans nos pensées sans jamais se fixer sur une idée. On ne se dit pas, par exemple, « je médite » en s’établissant dans une image de sa propre fabrication, celle d’un sage avec une barbe. Il est question plutôt de « s’ouvrir » à l’intelligence universelle qui est l’héritage de notre origine divine. Cette intelligence ne se répète jamais, elle fonctionne spontanément, elle est souple, fluide, légère comme la vie, sans jamais stagner dans les idéologies, même si elles ont un semblant de vérité, car elles figent l’esprit et l’empêchent de se renouveler dans l’éternel présent où règnent joie et amour inconditionnel. L’ego est le barrage, il résiste à tout changement; la vie spirituelle est l’éternelle régénération de notre être dans l’Être du tout. La méditation nous aide à faire face à nos peurs qui bloquent ce passage à la vie universelle. Il nous faut apprendre à nous libérer continuellement, « psychologiquement », de tous nos attachements : choses, personnes et idées. Cela n’implique pas de ne plus être en contact intime avec elles, mais de les aimer sans esprit de possessivité propre à l’ego.

Un autre aspect de la méditation dynamique est la prise en charge de notre corps, car nous ne sommes pas faits que d’âme. La méditation est le lieu de rencontre de l’esprit et de la matière, du ciel et de la terre. Le corps est le champ où le divin prend forme et fait l’expérience de la vie à travers nous. Bien que sous la forme présente de notre ego nous ne percevons pas cette vérité, le but de la méditation est de nous en faire prendre conscience. Dans le passé, le religieux voyait le corps, la chair, comme un obstacle à l’âme et à Dieu. L’expérience des siècles nous montre que nous faisions fausse route (mais n’oublions pas que la fausse route est aussi une expérience nécessaire vers notre perfection, que rien n’est perdu !). Le corps et l’esprit étaient écartelés, en guerre l’un avec l’autre dans une dualité en apparence insurmontable. La méditation intégrale réconcilie les deux aspects, ce qui exige un nouveau centrage de notre nature dans l’Être.

La méditation dynamique regarde le corps comme une merveilleuse opportunité de perfectionner notre âme. Au lieu de le percevoir comme un fardeau, qui nous donne du plaisir dans la jeunesse et nous accable dans la vieillesse, il nous faut le voir comme un « instrument » du divin. Comme la tasse de café est composée d’atomes, de même notre corps est l’ex – pression du Corps cosmique. Dans l’exercice de la méditation au quotidien, il faut apprendre à s’ouvrir à cette dimension cosmique qui est en fait partie intégrante de notre nature. Ce n’est que l’ego qui sépare l’intérieur de l’extérieur, moi et les autres, et se retranche dans les murs qu’il se construit lui-même pour se protéger de cette dualité de sa création. Le corps de l’ego toujours contracté par cette scission artificielle (cause de bien des maladies) se décontracte dans cette vision unifiée de l’existence. Le corps ainsi disponible, ou – vert à la vie universelle dans la transparence d’être, invite le divin à rayonner en notre personne.


Publié par Dominique Schmidt dans le Bulletin de l’USF de Mai 2021

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